Wednesday 9 November 2011

La vie cochonne

Hier, j'ai décidé d'aller faire une petite épicerie, parce que c'était dimanche et que je n'avais pas prévu plus loin que mon souper de l'Action-de-Grâces (un poulet de 18 lbs élevé nous-même et abattu illégalement). Je n'avais pas encore eu livraison de mon 1/2 cochon (veux pas savoir s'il a été abattu illégalement ou pas) et mon chum me demande un filet de porc pour souper. 8.36$ un petit filet de porc! 15$ le kilo! Je regarde les cubes de boeuf à ragoût, même prix. Presque 8$ pour une tout petit paquet. Finalement, écoeurée, je me rabat sur un carré de porc à 11$ le kilo. Sachant que les producteurs de porc du Québec ont la tête sur le billot, je suis attristée. Arrivée à la maison, je regarde la Revue des Marchés dans la Terre de Chez-Nous et je constate, consternée, que le prix obtenu par le producteur la semaine dernière est 1.75$ le kilo!!! Le prix à l'épicerie est donc 857% de plus. La question que peu de monde se pose: Pourquoi les prix à l'épicerie sont-ils si élevés et pourquoi tous les producteurs agricoles qui ne sont pas sous gestion de l'offre tirent-ils le diable par la queue financièrement? On a un méchant gros problème. Je reviens à mes moutons, puisque je suis éleveur de moutons comme vous le savez maintenant, et parce que depuis quelques années, il y a une mise en marché collective dans l'agneau lourd au Québec (pas dans le porc). J'obtiens 8.60$ du kilo (carcasse et bien classée) pour mon agneau à l'Agence de mise en marché et l'agneau à l'épicerie est au bas mot 30$ le kilo. Quelqu'un, en une semaine, a fait 350% de profit sur mon dos. Selon mon boucher, s'il veut acheter des carcasses d'agneau pour les débiter, selon la quantité de carcasses qu'il va acheter, le prix peut tourner autour de 10.50$ le kilo. L'abattoir fait donc 22% de profit, ce qui est plus normal. Alors, QUI fait minimum 20$ le kilo sur mon dos? Les distributeurs? Ceux-ci vont se plaindre du prix de l'essence et du diésel, de la piètre condition des routes qui maganent les camions, etc. L'épicier? Ceux-ci nous rappellent constamment que leurs marges de profit sont très maigres et qu'ils font leur argent sur le volume, et bla-bla-bla. C'est certain qu'il y a un maillon de la chaîne qui se fait des couilles en or quelque part! Peu importe où, j'ai décidé de court-circuiter tous ces «middlemen» et d'offrir mon agneau directement à mes clients, les carcasses débitées à leur goût, sous vide et congelé, à 16$ le kilo. 16$ qui vont dans mes poches, pour que ma ferme reste une ferme. Pour le client c'est une aubaine! Oui, il aura des tranches de cou et quelques bas morceaux (qui soit-dit en passant sont délicieux quand on sait les faire cuire) mais il aura aussi les gigots, le carré et le côtelettes pour la moitié du prix de l'épicerie. C'est donc la solution que j'ai trouvé. Je ne suis pas dépendante des prix du marché, d'une Agence ou de l'appétit des distributeurs, je suis fournisseur attitrée de personnes VIP: mes clients. Je les connais par leur nom, nous échangeons des recettes et quand j'entend bêler alors que j'ai les mains dans mon rang de panais, tout à côté de ma bergerie, je me dis que le juste prix que j'obtiens enfin pour me travail redonne à mon métier tout son sens.

Je me sens coupable d'avoir acheté ce carré de porc. J'ai contribué à étrangler un confrère. Dorénavant, mon but est d'acheter le moins de choses possible à l'épicerie. J'ai reçu mon 1/2 cochon et si je n'en élève pas moi-même, j'en rachèterai directement d'un producteur. En ce moment, j'ai des poulets et du porc dans mon congélateur. Bientôt j'aurai du veau, de l'agneau et du lapin, qu'on a élevés nous-mêmes. Dans des chaudières de plastique, j'ai des carottes et des panais enfouis dans le sable. Mes patates sont dans des poches. Mon seul problème est que je n'ai pas de caveau à légumes pour les conserver adéquatement. Comment une civilisation qui dépend de la nourriture pour vivre a-t-elle perdu toutes les connaissances requises pour la produire? Très peu d'occidentaux savent comment produire leur propre nourriture. Et si ils savent la produire, encore moins sont capables de la conserver adéquatement. C'est à cette étape-ci où je me trouve: comment saler, fumer, encaver, sécher, fermenter, etc. La route est longue... et les embûches nombreuses, mais les règlements sont encore plus contraignants que tout le reste. À qui le crime profite-t-il?

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