Thursday 13 December 2018

Remplir les mots


Je suis comme beaucoup d'autres agriculteurs: le langage et le jargon utilisés par les intervenants, les banquiers et autres professionnels qui gravitent autour de l'agriculture sonnent creux, vides de sens, redondants et cléricaux. Avec tout le cheminement que j'ai fait depuis 14 ans, j'aimerais faire un genre de lexique ou traduction de ces termes rebutants.
Les intervenants parlent un langage différent des agriculteurs, mais ils ne sont pas déshumanisés ni confrontants dans leur nature. Ce sont des gens qui prennent les mesures différemment de nous. 

Mission-Vision-Valeurs sont le point de départ de toute entreprise. Au sortir de la cohorte 3 de la Plateforme en Entrepreneuriat Agricole de l'Université Laval, tout mon groupe était d'accord à propos de cette base incontournable. On entend souvent ce trio et ça ne nous évoque rien. Pourtant, on les vit au quotidien, souvent en prononçant des phrases comme "Moi je ferais jamais ça" ou "C'est contre mes principes" ou "Moi tout ce que je veux c'est…" C'est tout simplement ça les valeurs. Pendant la formation, on n'y est revenu souvent; des entrepreneurs très inspirants (parce qu'ils avaient leurs valeurs à la boutonnière!) sont venus nous parler de leur parcours. Les décisions parfois difficiles qu'ils ont eu à prendre ont confronté leurs principes. Les meilleures décisions qu'ils ont prises étaient en accord avec, c'est aussi simple que ça. Il est donc primordial de s'interroger sur ce qui nous a guidés par le passé dans nos décisions pour y trouver quelque chose en commun. Dans mon cas, lors de tests psychométriques pendant la formation et pendant toute la durée du programme, j'ai eu l'occasion de constater que la loyauté occupait une place importante dans mes décisions et dans mon souci de perception des autres à mon égard. Ceci veut dire que je n'aime pas butiner de fournisseur en fournisseur, par exemple, mais construire et entretenir des relations d'affaires à long terme. J'ai aussi un grand souci d'authenticité et de craftmanship, ce qui veut dire que je vais résister à planter de l'ail productif (beaucoup de caïeux par bulbe pour multiplier plus vite) parce que mes clients n'aiment pas les petits caïeux plats et que la plupart du temps ces variétés ont beaucoup moins de goût. Je ne veux pas non plus revendre de la marchandise, mais vendre ce que j'ai cultivé moi-même. Ces principes-là guidaient donc inconsciemment mes décisions, mais la plateforme m'a permis de réaliser qu'elles existaient et de le mettre par écrit. Certains pourraient penser qu'il n'est tout simplement pas rentable de cultiver de l'ail à quatre caïeux, mais il y a de la place pour toutes les valeurs dans une entreprise. C'est pour ça qu'il est si important d'identifier nos principes. 

Par les mêmes exercices, j'ai pu constater (sur le continuum entrepreneurial, une illustration des tempéraments humains en affaires - voir photo jointe) 
que j'étais une artisane, quelqu'un qui crée. En agriculture, ceci se traduit par l'envie de créer des produits fins, d'exception, de niche. Ça veut aussi dire que j'ai réalisé que je n'avais pas le talent pour vendre ces produits et que plutôt que de me battre et perdre du temps à devenir bonne vendeuse, j'avais à m'entourer des bonnes personnes pour la mise en marché. Il n'y a pas de honte à cela. Tout au long de notre évolution pendant la Plateforme, de nos prises de conscience parfois même de nos épiphanies (!) nous avons constaté que tous les entrepreneurs que nous avons rencontrés n'étaient pas bons dans tout. Sauf que c'est eux qui pilotaient le bateau. J'ai donc mis mon sentiment d'inaptitude de côté quand j'ai rencontré la personne pour m'aider à mettre en marché mes produits et lui ai avoué DÉTESTER faire les marchés publics. C'est important d'avouer ce qu'on aime et qu'on n’aime pas! Ça change tout! Oui j'aime créer des produits fins, mais je n'irai pas faire du "Bonjour, Madame" dans un marché de Noël! Ça aide énormément la personne qui m'aide à cerner pourquoi et comment on va vendre mes produits. Les "intervenants", "dispensateurs de services" et autres "personnes ressources" sont des humains qui ont aussi des valeurs, une mission et une vision dans leur travail, même s'ils sont à l'emploi d'autres personnes. Tout le monde est plus humain quand on prend le temps de voir les choses sous cet angle. J'invite donc les personnes qui me lisent aujourd'hui à s'interroger sur leurs principes et dans un prochain billet, j'essaierai d'expliquer concrètement c'est quoi la Mission et la Vision.

Monday 23 April 2018

C'est le printeeeeeemmmmps! Oui, oui, le vrai! Celui qui fait qu'on met le nez dehors et qu'on renifle l'odeur de la terre qui dégèle, que nos oreilles entendent des chants d'oiseaux nouveaux, qu'on ressent le soleil sur la peau. Enfin! Ça veut aussi dire que beaucoup de travail m'attend et qu'il faut me mettre en branle.
À l'automne 2017, j'ai réussi à planter au dessus de 100,000 caïeux d'ail sur plus d'un hectare, mon chiffre magique.
Hier, 22 avril, je suis en tournée à Saint-André-Avellin, où j'ai planté .7 hectare dans un loam sableux qui reçoit 2450 unités thermiques.
Alors qu'il y a encore de la neige chez-nous à Mont-Laurier, l'ail de Saint-André-Avellin a un beau 10cm de racines et une pointe verte qui germe. Je l'ai renterré en remerciant les Dieux pour la survie à cet hiver détestable que nous avons eu (pour mes amis Français: nous avons eu un automne pluvieux, peu de neige en décembre, des froids extrêmes autour des fêtes de fin d'année, genre -30 degrés Celcius, et un redoux de janvier qui a mis la terre à nue, de la pluie, du gel et puis c'est resté comme ça plusieurs semaines-avec de la glace). L'ail prouve une fois de plus qu'IL (je dis toujours "elle") est plus tough qu'on pense.
Le défi de 2018 sera de suivre l'évolution de l'ail sur deux fermes à 172 km de distance, récolter l'ail de Saint-André pour le transporter à Mont-Laurier, où il ira se faire conditionner et sécher dans mes nouvelles installations.
Les analyses de sol à Saint-André sont très bonnes, mais celles de Mont-Laurier sont pauvres. Les analyses de 2014 avec lesquelles je travaillais faisaient état d'un sol riche et ça faisait du sens, avec le fumier de moutons dont je disposais. Les analyses d'un nouveau laboratoire sont revenues très pauvres! C'est alors que j'ai mandaté un 3e laboratoire pour en avoir le coeur net: pauvre. N'ayant pu réagir à l'automne, je dois donc rectifier la situation par des solutions en applications foliaires. De nouveaux produits sont donc à l'essai. Comme je suis sous régie biologique, mon choix de produits s'est tourné vers des biostimulants forts en azote, à base d'algues surtout. Je rendrai compte des résultats à la fin de la saison.
Ma bergerie n'ayant pas été curée depuis l'abandon de l'élevage, ce précieux fumier sera composté rapidement et épendu sur mes parcelles.
La nouvelle pratique sera d'utiliser les engrais verts complexes de pleine saison entre les années en ail. Ça aussi sera documenté et les résultats seront publiés en fin d'année.
Tout ça pour dire que l'abandon d'une activité ne veux pas dire moins de travail, au contraire, mais plus de bon travail au même endroit, ce qui s'appelle le focus, ou mise au point.
Sur ce, je souhaite une excellente saison 2018 à tous mes collègues agriculteurs! À bientôt. Anouk