Thursday 14 September 2017

Tranche de vie d’un éleveur… qui décroche!

Mardi, 10 septembre, je quitte la ferme pour aller chercher 8 boîtes de viande à Thurso. Oui, je sais, c'est loin de Mont-Laurier. J'achète un rouleau de Thermofoil™ pour emballer ma viande là-bas, pour ne pas briser la chaîne de froid en revenant. J'apporte mon tape-gun et mon chéquier. Je devais combiner ce voyage avec un achat de semence d'ail, qui a été reporté. Je fais donc quelques 300km et "scrappe" ma journée pour aller faire ça. Juste ça. Alors que j'ai le vibro à passer et un guizillion d'autres affaires à faire. L'abattoir conserve ma viande depuis 2 semaines dans ses congélateurs et a besoin de place et une cliente s'impatiente. Cette dernière est venue visiter ma bergerie au début de l'été. Elle a choisi un agneau jeune, pour pas que ça goûte trop fort (what's the point, cliss) et un deuxième à partager avec une amie. J'explique à la cliente que mon abattoir de proximité local (je suis membre de la coopérative) étant en relâche pour l'été et une boucherie étant intéressée par une carcasse, j'organise un abattage à Thurso. Oups! C'est les vacances. Ça ira après. Après, le transporteur a pas un voyage assez plein pour justifier un transport. On attend la semaine suivante. Finalement, le client-boucherie va passer son tour. Pas grave, mon abattoir de proximité pouvait pas de toute façon (on ne peut pas mettre en marché une carcasse issue d'un abattoir de proximité dans le réseau des boucheries ou des restaurants - HRI). Je finis par envoyer mi-août. Le débitage des carcasses se fait la semaine suivante. Quand c'est prêt, je décide de combiner un voyage à Thurso avec autre chose. Ça marche pas. L'abattoir met de la pression. J'y vais. Pour passer une soirée avec mon chum, je mets toutes mes boîtes dans son congélateur. Le lendemain, je dois tout remettre en place. Je rentre le mercredi soir.
Aujourd'hui, alors que j'ai fait des pieds et des mains pour récupérer ma viande, la cliente m'appelle, frustrée, en me disant qu'elle ne prendra pas sa commande! Elle a attendu trop longtemps (je lui avais expliqué que c'était difficile, l'été, pourtant) et la chasse s'en vient de toute façon, que ça va (si tu frappes, Madame) prendre de la place dans le congélateur. Elle m'a fait faire des coupes spéciales, en plus. Bien sûr, tous ces délais tombent sur mon dos! J'ai le dos large. Et pour plusieurs choses, ça me glisse dessus comme la pluie sur le dos d'un canard. Mais là, toutes ces simagrées, c'est à cause des "lois et règlements en vigueur".
J'annonce à tout le monde que je lâche la production. Tout le monde est déçu. Bâtard! Les agneaux envoyés en août sont nés en mars, ont bu le lait de leur mère puis du foin de qualité, fait ici, avec toutes les machines "réguines" que ça prend, le stress de la température, l'organisation avec l'ex, les enfants, l'enrobeuse en CUMA qu'il faut charrier. Ils ont mangé l'orge fait ici, pour ne pas soigner au maïs ni au soya ogm. J'ai beaucoup de compliments sur la qualité de ma viande. C'est ben beau, mais on ne se rend pas compte que TOUTE L'ANNÉE, à Noël aussi, quand y fait -28˚C et de la poudrerie, faut que je parte le tracteur pour aller chercher une balle de foin dans le boudin et le soigner. Surveiller les premières naissances. Épier les signes de mauvaise santé. Faire tondre. Tailler les onglons. Ajuster la ventilation. Vous me direz que je l'ai choisie, cette vie, et vous aurez raison. Vous me direz que je n'ai qu'à suivre la recette du trois-agnelages-aux-deux-ans-de-brebis-prolifiques-maternelles-avec-bélier-terminal-agneaux-engraissés-à-la-moulée-protéines+maïs+soya-et-vendre-à-l'agence-de-vente et vous n'aurez PAS raison. Cette recette a sa place pour le supermarché, mais pas à qui veut une viande proche de sa nature. Les moutons sont des herbivores. Ils ont un cycle de reproduction comme le chevreuil. Leur viande est fine et délicate quand l'animal a mangé selon sa nature. Mais puisque la mise en marché de cette viande en région éloignée est un aria du câli.... et que je dois y mettre 365 jours par année pour 16$/kg carcasse du "produit" de tous les animaux reproducteurs chouchoutés toute l'année, produit bouclé-élevé-abattu-débité-emballé-transporté-congelé JE ME RÉSIGNE À CESSER LA PRODUCTION. Ma cliente est frustrée. Mes clients réguliers sont frustrés. Je suis frustrée. Et épuisée.

Saturday 19 August 2017

Par en avant.

Nous voici arrivés à la période des récoltes, là où ENFIN les agriculteurs commencent à voir l'argent rentrer pour payer tout le nécessaire à produire qu'ils se sont fait "fronter" depuis le printemps. Si la récolte est poche, il restera un solde, qui sera reporté dans la prochaine année de culture, sur la prochaine paye. Quoi? Ben oui: l'on peut comparer qu'un agriculteur (qui n'est pas sous gestion de l'offre) n'est payé qu'à commission (rendement), peut-être 3 fois par année (bonjour la gestion du budget!) et travaille 7 jours sur 7 toute l'année, soirées et fins de semaines inclues (fatigués?). La gestion est une part ÉNORME de son travail, en plus de celui de produire. Les interruptions sont nombreuses, éteindre des feux est quotidien, jongler avec les comptes payables et le crédit un sport, l'épuisement est insidieux, mais on peut pas être malade alors on dit au corps de se taire et on continue sur le manque de sommeil, éreintés que nous soyons, "running on empty".
Heureusement, on brise l'isolement en s'offrant les services de gens compétents au travers du Réseau Agri-Conseils et on travaille main dans la main pour sortir de notre coquille, mettre la méfiance de côté (réflexe de protection) et on se projette sur le marché avec une idée neuve. Elle sera certes copiée, chahutée ou encensée, mais l'important c'est que l'argent soit au rendez-vous! Et ça, ça veut aussi dire qu'il y a des choix à faire.

Dans mon cas personnel, j'ai dû prendre la décision de laisser tomber une production: l'élevage des moutons, que j'accomplissais depuis 12 ans. Un deuil. 
Je ne serai plus Madame Moutons. Je serai Madame Ail. Toute mon énergie est maintenant dirigée vers l'atteinte d'une production considérable de bulbes, mais de les vendre au meilleur prix, dans des marchés de niche choisis, appuyée par un cabinet d'experts en mise-en-marché, en coûts de revient, en génie d'entreposage postrécolte, en transformation bioalimentaire, en agronomie. Mes mentors sont fiers de moi, de mes décisions, de mes nouvelles orientations, de mon nouveau souffle d'enthousiasme.
Bientôt, les Portes Ouvertes sur les Fermes du Québec, seront l'occasion de relaxer entre nous une fois la visite partie. Ces fins de journées où les bénévoles et producteurs socialisent sont une rare occasion de prendre des nouvelles de tout le monde et de discuter. Un "parvis de l'église" qui n'arrive malheureusement qu'une fois par année. C'est l'échange et le partage. Comment va le moulin à farine à Kiamika? comment l'asclépiade s'implante-t-elle à Lac-du-Cerf? as-tu confiance que la récolte d'épeautre bio sera bonne à Ferme-Neuve? Ah, tu vends tes moutons? J'ai vu sur Facebook que... etc. Quand les réponses sont négatives, inévitablement, par résilience engrainée et héréditaire, on entend des cultivateurs dire: On va essayer de faire mieux l'année prochaine! On est pas pour brailler! Qu'ess tu veux faire? On a tellement eu d'eau! et autres constatations. Oui, l'hiver va arriver, puis un printemps et un autre été. Eh oui, la prochaine paye est loin. C'est une long shot. 2 bandes, cross-coin la 8 dans le side. On call la shot pareil. On calcul nos angles, on met du bleu, on se concentre, on vise, on retient notre respiration un instant et pouc! Des fois on crie au miracle parce qu'on l'a eu! Desfois on se satisfait d'avoir pas frappé trop fort et la 8 est devant son trou, prête pour la prochaine shot. Je m'égare.
Tout ça pour dire qu'être agriculteur est pas une job facile. On le fait par vocation, beaucoup. Quand on réussit à gagner plus qu'il nous en a coûté, on efface tous les soucis, on passe l'éponge sur tous les efforts, la sueur, les inquiétudes, les feux: on est rétribués! On a le pas léger, le sourire plus facile, l'air rentre mieux dans les poumons. Aémlie Poulin qui marche sur le Pont-Neuf avec ce petit je-ne-sais-quoi dans l'air et rend parfaitement heureux, en symbiose, en harmonie avec tout l'univers. Le sentiment de ne pas travailler pour rien. De pouvoir même passer à une autre étape. L'année prochaine.

Sur ce, le 10 septembre, Bonnes Portes Ouvertes à tous!