Monday 27 August 2012

Je mange ma chemise.

Oui. Je mange ma chemise. Je suis sur le point de déclarer forfait. Le mouton, c'est fragile, ça demande de la manipulation, c'est pas payant pis ça mange. Vous allez me dire qu'une vache c'est pareil. Pas tout à fait.
Prenez un mouton. Imaginez que vous voulez un agneau. Il faut mettre un bélier avec une brebis. Un bélier c'est souvent méchant. Passé les bleus, vous attendez patiemment 5 mois et si vous êtes chanceux (une brebis peut avorter juste parce qu'elle a mangé trop d'ensilage) vous avez deux agneaux. La mère donne du lait rien que d'un bord alors vous supplémentez les deux bébés au biberon. Y'en a un qui meure au bout de deux semaines. L'autre se porte bien, mais la semaine suivante, il a une diarrhée. Coccidiose. Il commence à manger, alors vous obtenez une prescription de votre vétérinaire ($$) pour une moulée anticoccidiose ($$). L'agneau passe à travers. Vous avez la chance qu'il se rende à 4 mois et il est prêt pour le marché (il arrive régulièrement qu'un agneau de quatre mois meure sans raison - vous arrivez à l'étable le matin et il est là, couché dans un coin, sans vie). Vous avez des papiers à remplir, car maintenant il y a une agence d'arrimage entre acheteurs et vendeurs et vous devez annoncer deux semaines à l'avance que vous avez un agneau à vendre. Après confirmation que vous pouvez le vendre, il vous faut organiser le transport. Vous ne pouvez vous déplacer vous-même à l'abattoir «le plus proche», car il est à 300+km. Vous devez donc utiliser le transport collectif. Le transporteur n'a pas assez d'agneaux à transporter la semaine prochaine alors ça va aller à l'autre semaine. Vous rappelez l'agence de vente pour les informer que vous ne pouvez livrer comme prévu. Deuxième confirmation. Ça, c'est une chose.
Ensuite, comment êtes-vous payé? Pour faire un chiffre rond, mettons que l'agneau en question pèse 50kg vivant. À l'abattage on enlève les tripes, la tête, les sabots et on pèse ces «déchets», qui représentent en général 55% du poids vivant de l'animal. C'est ce qu'on appelle la carcasse chaude. Il reste donc 22,5kg. L'animal est ensuite classifié selon le gras dorsal, la longe et autres critères. Il peut être déclassé. Si vous êtes chanceux et que vous n'avez pas trop fini votre agneau au maïs, il classera bien et vous aurez votre 9$ le kilo carcasse. 202,50$. Enlevez le transport (6$ pour l'apporter à la «station d'autobus» et 14$ pour «l'autobus»), les frais de classification et de mise en marché et il vous reste peut-être 170$.
170$ pour vous être levé tous les matins, nourrit, payé la moulée, faire le foin, remplir le tracteur de diésel - toujours de plus en plus cher, sortir les morts dehors et les enterrer, vous être fait lutter par votre bélier, réparé le parc qu'il a défoncé, soigné vos bleus, fait des téléphones et rempli des papiers. Multipliez tout ce trouble-là par le nombre de brebis que vous avez (130) et multipliez les dépenses par deux parce que tout coûte plus cher et vous allez vous demander ben vite pourquoi vous vous levez le matin. Oh, bien sûr, quand vous en vendez en dessous de la table pour un méchoui dans la région on vous dit que votre agneau est fantastique, qu'il est donc tendre et goûteux! Mais si vous voulez récupérer vos carcasses de l'abattoir à 300+km pour les faire débiter dans votre région et vendre votre belle viande à des clients, c'est une autre histoire! Voulez-vous l'entendre? Non? Déjà écoeurés de me lire? Ben moi je suis écoeurée du système. Parce que, en plus, pour en finir avec mon histoire de mouton, si je l'envoie abattre à l'autre bout du monde, je ne récupère pas tout mon mouton. Je pourrais faire de beaux «dessous de fesses» pour les skidooeux avec la peau, mais je ne la récupère pas. Pensez-vous que c'est jeté tout ça? Y'a des entreprises qui ramassent tout ça pour des peanuts. La peau, les parties «non-comestibles», c'est valorisé en bouffe à chien et en sacs à main. Pas par moi.

Maintenant, levez-vous le matin et rentrez dans une étable pleine de vaches qui sont sur le point d'exploser tellement leur pis est plein. Elles sont contentes de vous voir, car elles seront soulagées. Vous commencez par les nourrir pour les calmer et vous rincez votre pipeline en prévision de la traite. Une vache est en chaleurs, vous appelez l'inséminateur (beaucoup plus gentil qu'un taureau) et il va passer dans la matinée pour l'inséminer avec la pipette de votre choix (il y a même un beau catalogue en couleurs). Vous commencez la traite. Oh vous mangez parfois un coup de pied ou un coup de queue, mais ça va assez bien. La traite finie il faut traire à part celles qui sont en début de lactation ou qui font de la mammite (grumeaux). Il faut faire boire les petits veaux. Laver et rincer le pipeline. Laver la laiterie. Passer le balai. Tiens? l'inséminateur. Bon ben on va jaser un peu. L'inséminateur parti, tiens, voilà le camion de lait qui vient chercher le lait dans votre réservoir. Vous lui envoyez la main, car vous être pressé d'aller dîner et y'a du foin à racler que vous avez coupé hier. Deux semaines plus tard (ça ne change rien pour vous parce que dimanche ou jeudi c'est pareil) il y a un dépôt direct dans votre compte pour vos 25kg de quota remplis, jour après jour il est vrai. Le camion passe tous les deux jours, beau temps mauvais temps. Vous trayez deux fois par jour tous les jours, beau temps mauvais temps. Mais vous êtes payés pour votre travail. Les Québécois boivent un lait de qualité, équitable pour tout le monde (sauf les transformateurs - pauvres eux autres, obligés de se rabattre sur des ingrédients laitiers importés pour fabriquer du fromage cheap parce que le système de quota fait que notre lait est trop cher! Bou-hou-hou!) Méfiez-vous! Depuis que les agriculteurs sont passés inaperçus à Montréal lors de la manif à propos de l'Accord de commerce interprovincial (vous vous disiez aussi, qu'y sont ben chialeux - encore - ces maudits agriculteurs), vous pourriez retrouver des ingrédients laitiers dans votre yoghourt. Ben oui! Au Québec, le yoghourt devait être fait avec du lait, seulement que du lait, de producteurs d'ici. Ben des nonos de l'ouest (encore eux!) ont argumenté que cette loi était une entrave au commerce parce qu’eux ont le droit de fabriquer du yoghourt avec des fractionnements de protéines de lait du Danemark ou de Nouvelle-Zélande, mais qu'ils n’ont pas le droit de le vendre au Québec! Et ils ont gagné! Vous rendez-vous compte? Saviez-vous que dans ces pays, parce que le prix est tellement bas parce qu'il n'y a pas de système pour protéger les agriculteurs des fluctuations de prix, ils ont le droit d'utiliser des hormones pour que les vaches donnent plus de lait? Saviez-vous qu'ici c'est interdit?
Ben je vais vous dire, moi, que le système de quota laitier c'est la meilleure chose qui soit jamais arrivée parce que c'est la seule structure qui garanti un revenu décent à l'agriculteur qui travaille à la sueur de son front! Tous nos produits de base devraient être couverts pas un système similaire et chaque pays devrait faire pareil et arrimer sa production intérieure de produits de base avec sa consommation intérieure. ÉQUITABLEMENT, pour le fermier et pour TOUT LE MONDE. Vous voulez être «solidaires», être «collectif», avoir un projet de société? Préoccupez-vous donc de ce que vous mangez, qui l'élève ou le cultive et comment. Merci.