Saturday 15 September 2012

Chaux les marrons!

Je viens de lire l'article de La Presse d'aujourd'hui «La crise alimentaire imminente» de Marie Allard (incapable de vous trouver le cyberarticle, mais c'est dans La Presse du samedi 15 septembre, cahier A, page 24).
En exergue: «Un million d'hectares des terres agricoles du Québec - sur trois millions - est en friche».
On parle dans l'article surtout des céréales. Être agriculteur, c'est désespérément pas payant. La capitalisation et les investissements sont énormes. Les meilleurs arrivent à faire kif-kif. Si on veut revaloriser le territoire, faudra prendre des décisions.
Jean-Martin Aussant, chef d'Option Nationale, voulait nationaliser les ressources naturelles. Faudrait peut-être mettre les subventions au bon endroit. Dans mon cours de Gestion de l'entreprise agricole, on m'a enseigné qu'il faut d'abord avoir des champs en santé. Pour ça, ça prend avant toute chose, avant même d'engraisser le sol, un bon pH. Un sol, ça s'acidifie avec le temps. La chaux alcalinise le sol. Il faut le faire périodiquement et faire des analyses de sol. Le problème, c'est que la chaux peut se vendre 30$ la tonne à Sorel et 65$ la tonne à Mont-Laurier. Un sol en santé est garant d'un bon rendement. Parfois la différence entre 1/2 tonne à l'acre et 1 tonne 1/2 à l'acre de céréales. Faudrait commencer par là. Pourquoi le Québec ne serait-il pas propriétaire de carrières de chaux et pourquoi le transport ne serait-il pas aplani entre les régions, comme le transport du lait? 45$ la tonne pour tout le monde, partout au Québec!!! Des champs en santé, de la productivité, de la revitalisation, de la relève, de la rentabilité. Et pis tant qu'à y être, pourquoi ne pas subventionner les analyses de sol et l'épandage de chaux? 50% tiens. Moitié-moitié l'état et le cultivateur. Vous pouvez être assurés que les mines fourniraient pas pis que le tonnage augmenterait de façon fulgurante!
Ensuite, pour l'élevage, ça prendrait un abattoir de type A dans chaque région. Ainsi, nul besoin d'aller revirer à Terrebonne quand on est à Mont-Laurier. Ça, ça encouragerait les petits élevages. Petit élevage rentable grossit. Moyen élevage rentable grossit. Gros élevage rentable fournit des emplois durables et assure une relève.
Me semble que c'est pas si compliqué à faire?
On loue une terre qui est plus sablonneuse et qui a fourni un piètre rendement d'avoine la semaine dernière. On a pas l'argent pour la faire chauler. On doit réduire le troupeau de moutons pour faire un petit revenu pour payer des pneus neufs en arrière au tracteur pour faire les labours. 5 000$. On va donc avoir moins de fumier à épandre et moins de revenus l'an prochain. Faudra soit aller travailler à l'extérieur ou trouver de nouvelles idées pour survivre. Juste survivre. C'est par normal. L'article d'aujourd'hui parle de besoins de 70% de plus de production agricole. C'est juste avec des sols en santé qu'on va pouvoir faire ça. Y'a un million de terres en friche qui ne demandent qu'à produire. Va falloir s'en donner les moyens. Pis vite.

Monday 27 August 2012

Je mange ma chemise.

Oui. Je mange ma chemise. Je suis sur le point de déclarer forfait. Le mouton, c'est fragile, ça demande de la manipulation, c'est pas payant pis ça mange. Vous allez me dire qu'une vache c'est pareil. Pas tout à fait.
Prenez un mouton. Imaginez que vous voulez un agneau. Il faut mettre un bélier avec une brebis. Un bélier c'est souvent méchant. Passé les bleus, vous attendez patiemment 5 mois et si vous êtes chanceux (une brebis peut avorter juste parce qu'elle a mangé trop d'ensilage) vous avez deux agneaux. La mère donne du lait rien que d'un bord alors vous supplémentez les deux bébés au biberon. Y'en a un qui meure au bout de deux semaines. L'autre se porte bien, mais la semaine suivante, il a une diarrhée. Coccidiose. Il commence à manger, alors vous obtenez une prescription de votre vétérinaire ($$) pour une moulée anticoccidiose ($$). L'agneau passe à travers. Vous avez la chance qu'il se rende à 4 mois et il est prêt pour le marché (il arrive régulièrement qu'un agneau de quatre mois meure sans raison - vous arrivez à l'étable le matin et il est là, couché dans un coin, sans vie). Vous avez des papiers à remplir, car maintenant il y a une agence d'arrimage entre acheteurs et vendeurs et vous devez annoncer deux semaines à l'avance que vous avez un agneau à vendre. Après confirmation que vous pouvez le vendre, il vous faut organiser le transport. Vous ne pouvez vous déplacer vous-même à l'abattoir «le plus proche», car il est à 300+km. Vous devez donc utiliser le transport collectif. Le transporteur n'a pas assez d'agneaux à transporter la semaine prochaine alors ça va aller à l'autre semaine. Vous rappelez l'agence de vente pour les informer que vous ne pouvez livrer comme prévu. Deuxième confirmation. Ça, c'est une chose.
Ensuite, comment êtes-vous payé? Pour faire un chiffre rond, mettons que l'agneau en question pèse 50kg vivant. À l'abattage on enlève les tripes, la tête, les sabots et on pèse ces «déchets», qui représentent en général 55% du poids vivant de l'animal. C'est ce qu'on appelle la carcasse chaude. Il reste donc 22,5kg. L'animal est ensuite classifié selon le gras dorsal, la longe et autres critères. Il peut être déclassé. Si vous êtes chanceux et que vous n'avez pas trop fini votre agneau au maïs, il classera bien et vous aurez votre 9$ le kilo carcasse. 202,50$. Enlevez le transport (6$ pour l'apporter à la «station d'autobus» et 14$ pour «l'autobus»), les frais de classification et de mise en marché et il vous reste peut-être 170$.
170$ pour vous être levé tous les matins, nourrit, payé la moulée, faire le foin, remplir le tracteur de diésel - toujours de plus en plus cher, sortir les morts dehors et les enterrer, vous être fait lutter par votre bélier, réparé le parc qu'il a défoncé, soigné vos bleus, fait des téléphones et rempli des papiers. Multipliez tout ce trouble-là par le nombre de brebis que vous avez (130) et multipliez les dépenses par deux parce que tout coûte plus cher et vous allez vous demander ben vite pourquoi vous vous levez le matin. Oh, bien sûr, quand vous en vendez en dessous de la table pour un méchoui dans la région on vous dit que votre agneau est fantastique, qu'il est donc tendre et goûteux! Mais si vous voulez récupérer vos carcasses de l'abattoir à 300+km pour les faire débiter dans votre région et vendre votre belle viande à des clients, c'est une autre histoire! Voulez-vous l'entendre? Non? Déjà écoeurés de me lire? Ben moi je suis écoeurée du système. Parce que, en plus, pour en finir avec mon histoire de mouton, si je l'envoie abattre à l'autre bout du monde, je ne récupère pas tout mon mouton. Je pourrais faire de beaux «dessous de fesses» pour les skidooeux avec la peau, mais je ne la récupère pas. Pensez-vous que c'est jeté tout ça? Y'a des entreprises qui ramassent tout ça pour des peanuts. La peau, les parties «non-comestibles», c'est valorisé en bouffe à chien et en sacs à main. Pas par moi.

Maintenant, levez-vous le matin et rentrez dans une étable pleine de vaches qui sont sur le point d'exploser tellement leur pis est plein. Elles sont contentes de vous voir, car elles seront soulagées. Vous commencez par les nourrir pour les calmer et vous rincez votre pipeline en prévision de la traite. Une vache est en chaleurs, vous appelez l'inséminateur (beaucoup plus gentil qu'un taureau) et il va passer dans la matinée pour l'inséminer avec la pipette de votre choix (il y a même un beau catalogue en couleurs). Vous commencez la traite. Oh vous mangez parfois un coup de pied ou un coup de queue, mais ça va assez bien. La traite finie il faut traire à part celles qui sont en début de lactation ou qui font de la mammite (grumeaux). Il faut faire boire les petits veaux. Laver et rincer le pipeline. Laver la laiterie. Passer le balai. Tiens? l'inséminateur. Bon ben on va jaser un peu. L'inséminateur parti, tiens, voilà le camion de lait qui vient chercher le lait dans votre réservoir. Vous lui envoyez la main, car vous être pressé d'aller dîner et y'a du foin à racler que vous avez coupé hier. Deux semaines plus tard (ça ne change rien pour vous parce que dimanche ou jeudi c'est pareil) il y a un dépôt direct dans votre compte pour vos 25kg de quota remplis, jour après jour il est vrai. Le camion passe tous les deux jours, beau temps mauvais temps. Vous trayez deux fois par jour tous les jours, beau temps mauvais temps. Mais vous êtes payés pour votre travail. Les Québécois boivent un lait de qualité, équitable pour tout le monde (sauf les transformateurs - pauvres eux autres, obligés de se rabattre sur des ingrédients laitiers importés pour fabriquer du fromage cheap parce que le système de quota fait que notre lait est trop cher! Bou-hou-hou!) Méfiez-vous! Depuis que les agriculteurs sont passés inaperçus à Montréal lors de la manif à propos de l'Accord de commerce interprovincial (vous vous disiez aussi, qu'y sont ben chialeux - encore - ces maudits agriculteurs), vous pourriez retrouver des ingrédients laitiers dans votre yoghourt. Ben oui! Au Québec, le yoghourt devait être fait avec du lait, seulement que du lait, de producteurs d'ici. Ben des nonos de l'ouest (encore eux!) ont argumenté que cette loi était une entrave au commerce parce qu’eux ont le droit de fabriquer du yoghourt avec des fractionnements de protéines de lait du Danemark ou de Nouvelle-Zélande, mais qu'ils n’ont pas le droit de le vendre au Québec! Et ils ont gagné! Vous rendez-vous compte? Saviez-vous que dans ces pays, parce que le prix est tellement bas parce qu'il n'y a pas de système pour protéger les agriculteurs des fluctuations de prix, ils ont le droit d'utiliser des hormones pour que les vaches donnent plus de lait? Saviez-vous qu'ici c'est interdit?
Ben je vais vous dire, moi, que le système de quota laitier c'est la meilleure chose qui soit jamais arrivée parce que c'est la seule structure qui garanti un revenu décent à l'agriculteur qui travaille à la sueur de son front! Tous nos produits de base devraient être couverts pas un système similaire et chaque pays devrait faire pareil et arrimer sa production intérieure de produits de base avec sa consommation intérieure. ÉQUITABLEMENT, pour le fermier et pour TOUT LE MONDE. Vous voulez être «solidaires», être «collectif», avoir un projet de société? Préoccupez-vous donc de ce que vous mangez, qui l'élève ou le cultive et comment. Merci.

Wednesday 20 June 2012

Recettes

Je me suis fait demander la recette de mon confit d'oignons destiné au banquet Haute-Voltige (produits des Hautes-Laurentides). Il s'agit d'une recette élaborée par André Paul Moreau que je reproduis ici (il faut peser les ingrédients):

Marmelade d'oignons rouges, canneberges, sirop d'érable et hydromel.

Ingrédients

1kg d'oignons rouges hachés ou ciselés
100g de beurre clarifié non salé (technique ici)
350g de sirop d'érable (j'ai pris celui de Gérald Brisebois)
250g de canneberges fraîches ou congelées (ça, on n’en a pas dans la région)
100ml de vinaigre de vin rouge
200ml d'hydromel Blizz (Ferme Apicole Desrochers)
5g de sel de mer (toute une variété ici)

Méthode


1. Faire revenir dans le beurre clarifié les oignons environ 5 minutes.
2. Ajouter le sirop d'érable et les canneberges et laisser cuire 30 minutes en remuant souvent. Ajouter le reste des ingrédients et laisser mijoter doucement sans couvercle jusqu'à l'obtention d'une consistance sirupeuse.


Pour le pesto de fleur d'ail:

1kg de fleurs d'ail
12g de sel de mer
40 à 50 ml de jus de citron
1 tasse d'huile de tournesol (pas d'huile d'olive, car elle fige au réfrigérateur)

Placer tous les ingrédients au robot sauf la moitié de l'huile. Pendant que le robot tourne, ajouter la 2e moitié de la tasse d'huile. Mettre en pots et bien aplatir le dessus du mélange, verser une couche d'huile pour «sceller» et s'assurer, à chaque fois que l'on se sert une cuillerée, de bien replacer le mélange à plat et qu'il y ait une couche d'huile avant de replacer au frigo.

Voilà!

Wednesday 13 June 2012

La crise

Je me suis faite silencieuse dernièrement. Faut dire que je n’ai pas le temps d'écrire: 2 jeunes enfants (à la garderie à plein temps, mais même quand elles ne sont pas là, je fais plein de choses pour elles), des semis à partir, des semailles à faire, de la tuyauterie à réparer, un petit étalon nouvellement castré dont je dois m'occuper, des roches à ramasser pour semer de la pelouse autour de la nouvelle maison, 1km de clôture électrique à faire, 5 buttons d'ail à sarcler, un groupe de brebis à mettre au bélier, pis y'arrête pas de faire beau, alors les factures et la comptabilité attendent…
La crise étudiante s'est transformée en crise de réveil brutal sur la façon dont l'argent mis dans le «pott» est dépensée. Plusieurs scandales ont été soulevés depuis celui des commandites. Les gens sont écoeurés de se faire fouiller dans les poches alors que plusieurs industries semblent ne pas faire leur «juste part», expression utilisée par le gouvernement pour justifier une hausse des frais de scolarité. Premièrement, une hausse de 75%, même étalée sur 5 ans, était une très mauvaise idée. Quand on enfile comme des perles toutes ces augmentations, comme celles de la SAAQ par exemple, pour justifier que les coffres sont vides - à cause de quoi? mauvaise gestion - et que l'on se retrouve avec un chapelet d'abus de toute sorte et que l'on demande aux citoyens parmi les plus taxés du monde de contribuer encore plus, on se retrouve avec beaucoup plus que des étudiants dans la rue!
Merci, ceux qui ont la liberté de quitter leur domicile ou leur travail pour participer à ces manifestations historiques. Nous les agriculteurs, on ne peut pas quitter notre ferme pour plus que quelques heures à la fois. Oh, mon chum est bien allé quelques fois manifester, surtout pour l'accord interprovincial ACI. Notez le point en 3e place: «L'absence d'obstacles inutiles». C'est surtout pour cela que mon chum allait manifester. Comme le Québec exige que le yoghourt soit fait avec du lait, des lobbys puissants ont poussé pour que les normes de composition des yoghourts soient uniformisées… par le bas! Argumentant que les normes québécoises étaient un obstacle au commerce, les lobbys ont gagné et l'ACI a été resignée par notre cher gouvernement actuel, n'obligeant pas les provinces à utiliser du lait pour fabriquer du yoghourt. Ça, ça veut dire que les yoghourts peuvent dorénavant être fabriqués avec des ingrédients laitiers. Ces substances sont transformées pour ne pas s'appeler du lait ou de la crème et entrer au Canada sans barrières tarifaires pour composer les yoghourts que vous mangez, sans savoir que ça n'est pas le lait de nos bonnes vaches canadiennes qui a été utilisé. Ces substances peuvent provenir de Nouvelle-Zélande, du Danemark, bref, d'ailleurs où on ne sait pas comment elles ont été produites. La gestion de l'offre au Canada est un système intérieur de commerce équitable et c'est une maudite bonne chose. Les industriels tentent de la faire tomber en argumentant que c'est un obstacle au commerce. Ils préféreraient que le système s'effondre pour profiter du bon lait canadien à 14¢ le litre alors que le producteur a autour de 67¢ le litre sous gestion de l'offre. Une ferme qui a un prix raisonnable pour ses produits paye ses factures, fait vivre sa famille, atteint une capacité de remboursement et génère un petit profit pour remplacer sa machinerie ou se moderniser. Toutes les fermes qui ne sont pas sous gestion de l'offre tirent le diable par la queue et peinent à obtenir 22% du prix de détail des aliments qu'elles produisent. Faut en parler de ça!
Cet été, je vous invite à arrêter «chez l'habitant» et à acheter quelque chose et piquer un brin de jasette. Si vous ne l'avez jamais fait, ce sera une belle expérience!

Thursday 26 January 2012

Les «vrais» agriculteurs.

Je viens de prendre connaissance de l'article écrit par monsieur Michel Morisset dans Le Soleil du 24 janvier: Article ici
Ça m'enrage de lire ça. Quoique je ne partage pas les opinions de Benoît Girouard, président de l'Union Paysanne, qui répond dans le même journal à monsieur Morisset, (voir article ici) j'ai moi aussi envie de rétorquer.
Je suis productrice agricole depuis 6 ans. Je suis déficitaire depuis 6 ans. La raison pour laquelle je fais partie des 25% de «parasites» est que le système est fait pour ceux qui font du volume, qui fabriquent de la matière première cheap pour les transformateurs et qui réussissent à joindre les deux bouts grâce au volume de leur production. Point.
Scénario classique de ceux qui veulent s'établir en agriculture et qui ne sont pas «la relève» (ils ont plus de 40 ans): un couple qui grâce à ses deux jobs réussi à s'acheter une terre de dimension raisonnable (un lot-un lot 1/2 soit 100-150 acres) et qui décide d'élever quelques animaux (pas besoin de machinerie pour ça) pour commencer et augmenter de «volume» à chaque cycle de production, essayer quelques espèces pour finalement établir son choix sur une ou l'autre ou les deux.
Le couple choisit d'élever mettons 20 lapins au début. Le couple se rend compte que l'élevage de lapins est une production sous gestion de l'offre au Québec. Pas d'avenir là-dedans à moins d'embarquer chez «les gros». On oublie la volaille, qui est sous gestion de l'offre au Canada. Le couple décide d'élever des moutons, parce que ce sont des bêtes plus petites que des vaches et assez dociles.
Le couple soigne ses animaux avant de partir travailler le matin et en revenant de travailler le soir. Quelques essais et erreurs leur permettent quand même d'avoir quelques agneaux à vendre. Attention! C'est là que ça se corse: le couple a 7 agneaux à vendre. Abattre eux-mêmes est illégal. Fabriquer une cage de plywood pour mettre sur la boîte du pick-up est assez facile à faire. Mais là, un des deux conjoints doit prendre une journée de congé de sa job pour aller porter les animaux à l'abattoir le plus proche (234 km) et aller les chercher une autre fois (une autre journée de congé sans solde). «Oh, mais j'y pense, mon voisin sur le rang y va régulièrement lui, à cet abattoir, je pourrais lui demander de transporter mes animaux?!» se dit Monsieur Débutant. (Bruit de rails de chemin de fer qui grince) mais non! Le voisin voudrait bien, mais il n'a pas les assurances requises pour transporter des animaux qui ne sont pas à lui! Et ces assurances coûtent cher! Les agneaux grandissent, mangent beaucoup de moulée, deviennent pubères et zignent leurs mères et leurs tantes, fautes de parcs suffisants dans la vieille étable croulante pour les séparer. Cinq mois plus tard, n’ont toujours pas trouvé de solutions pour faire abattre les animaux et les brebis donnent naissance à une trâlée d'autres agneaux. Le bill de moulée est astronomique et les conjoints paient de leur poche. Que faire? S'équiper d'un bon pick-up et d'un trailer? Augmenter le nombre de brebis? Agrandir l'étable? Construire au moins un toît et installer un abreuvoir chauffant pour élever plus d'animaux? Est-ce que le voisin voudra venir livrer une grosse balle ronde de foin à tous les deux jours vu qu'on n’est pas équipés pour faire ça? Oh-ho! Problème: aller porter les animaux à l'abattoir soi-même, mettons, mais quand on ira les reprendre, ce seront des carcasses et elles devront faire le voyage de retour par camion ou remorque RÉFRIGÉRÉE. Oh que ça coûte des bidous, ça! Pas les moyens. Que faire alors? Est-ce que le voisin a le droit de transporter les carcasses qui ne sont pas les siennes? Tiens donc. Une fois en carcasses, les animaux n'ont plus de boucles ATQ dans les oreilles, elles n'ont même plus de têtes! Qui peut dire quelles bêtes sont à qui?
Parallèlement à ses déboires, le couple décide de faire des petits fruits. Framboises, fraises, etc. La 1re année, on n’y touche pas. La 2e année, on récolte soi-même et on fait des confitures pendant des jours, écoeurés, dans notre cuisine. On finit par donner les pots à la parenté à Noël. La 3e année, il y en a trop et on cherche à la dernière minute à embaucher des récolteux pendant qu'un des conjoints va voir au supermarché au village, voir s'ils ne prendraient pas la récolte. Le prix est dérisoire, les conditions sévères, mais on le fait quand même. Comme on a pas respecté les conditions, que la qualité et l'approvisionnement étaient trop variables, on se fait remercier et on cherche une solution pour l'année prochaine. Ça fait maintenant 4 ans qu'on est «agriculteur», mais on a toujours nos jobs à l'extérieur en plus de faire tout ça. On se fait traiter de parasites parce qu'on reçoit un petit peu d'ASRA de l'État. Bon, je m'arrête là, vous voyez le portrait.
Sauter la marche entre «gentleman farmer» et «vrai farmer» est le souhait de beaucoup de fermiers. Le système n'est pas fait pour ça. Les seuls qui pourraient aider notre couple fictif dans leur situation sont probablement Équiterre. Notre couple pourrait envisager delaisser tomber les moutons, se faire certifier biologique, diversifier un peu la production maraîchère et profiter des conseils, de l'expertise et de l'encadrement d'Équiterre pour fournir des paniers de fruits et légumes bio aux gens des villages environnants. Une agriculture marginale. Est-ce qu'au moins un des deux conjoints pourra éventuellement quitter sa job de jour pour travailler à plein temps sur la ferme? Pas sur.
Est-ce la faute de notre couple?
Non.
Si notre couple avait eu un abattoir à proximité, il aurait pu tirer son épingle du jeu avec les moutons. Mais il aurait eu à faire face au dilemme inévitable qui est: volume ou créneau? En créneau, il aurait fallu qu'il fournisse des coupes spéciales à ses clients et donc, qu'il trouve un bon boucher dans sa région, ne pouvant le faire lui-même, s'équiper de congélateurs et de frigidaires fiables, obtenir le permis approprié et relever la température des ses salles chaque jour et consigné dans un registre les relevés et les dates.
Les quelques entreprises de créneau que je connais qui sont bien décollées se comptent sur les doigts d'une main. Elles comptent quand même plusieurs employés et font un gros chiffre d'affaires. La roue tourne et les propriétaires doivent rester vigilants, car leur marge de profit est mince.

Si on veut revitaliser les régions, il va falloir que «le couple qui cherche une production dans le but qu'au moins un des deux d'ici 5 ans travaille à temps plein sur la ferme» ait de l'aide. De l'aide de l'État, de l'aide de la communauté et de l'aide des gens du milieu. C'est pas en dénigrant ceux qui veulent percer, courageusement, tout seuls, qu'on va aider à régler le problème. C'est pas non plus en s'obstinant dans l'éloge du petit et en comptant dans ses rangs autant des producteurs marginaux que de sympathisants à la ferme bucolique.
Pour ma part, après 6 ans en agriculture, et bien des culs de sacs, nous sommes sur une nouvelle voie. Mon but est de devenir une «vraie» agricultrice et de rentabiliser ma ferme. J'ai pas eu d'aide sans faire des pieds et des mains. J'ai réussi à faire profiter mon conjoint de l'Aide à l'établissement de La Financière Agricole à quelques mois de son 40e anniversaire (la relève s'arrête là et moi j'étais déjà «passée date») et nous avons eu la subvention Prime-Vert pour retirer nos animaux des cours d'eau (une partie de notre terre borde la rivière du lièvre).
Mon voisin qui a du succès et qui est dans l'agneau depuis des années me disait cette semaine: «Si je vendais à l'Agence de vente, j'arriverais pas. Je transporte moi-même, je rachète mes agneaux à l'Agence et je les mets en marché moi-même». Il livre à des restaurants et vend à d'importants marchés publics. Il a 3 camions, 5 remorques, travaille avec son frère et son fils et se fait aider d'un employé. Son troupeau compte presque 300 moutons, il possède 3 tracteurs et toute une panoplie de machinerie. L'agneau est sa seule production. Il doit constamment trouver des manières plus faciles et moins coûteuses de nourrir ses bêtes, lire une documentation considérable d'articles sur la nutrition et la supplémentation, apprendre des logiciels, s'équiper de caméras, utiliser la domotique, skipper des repas quand c'est le temps des foins, réparer de vieilles machines quand ça casse et courailler des pièces devenues rares, se renseigner sur les races, soigner autant à - 20˚ C qu'à 30˚ C, etc.
Nous aussi on fait tout ça. Mais on vend nos agneaux à l'encan quand ils sont légers et à l'Agence quand ils sont lourds, et on utilise le transport en commun. Les dates sont déterminées d'avance et on doit apporter nos agneaux à un parc de détention, comme d'autres producteurs de la région, et un camion lourd ramasse le lot le jour dit et emmène nos bêtes à St-Hyacinte. On reçoit un maigre chèque et on se demande pourquoi on fait ça. Le tracteur a besoin de pneus neufs, à 2 000$ chacun. Ma boîte de comptes à payer est pleine. Je songe parfois à prendre un travail à l'extérieur, puis…
Je me lève le lendemain et je serre les poings et je me dis que Non! C'est pas vrai qu'avec tout ce qu'on a, on n’est pas capable de vivre décemment! Et on continue en étudiant encore toutes les possibilités de réduire nos coûts et augmenter nos revenus. On ne fait que ça. On ne discute que de ça. Et quand on parle à nos voisins, on se rend compte qu'on est tous dans le même bateau. Si autant d'agriculteurs tirent le diable par la queue, peut-on vraiment jeter le blâme sur eux seuls?