Friday 6 May 2011

Il pleut, il mouille, c'est la fête à la grenouille.


Janette Bertrand a déjà dit qu'elle avait toujours trouvé les cultivateurs chialeux de la température jusqu'à ce qu'elle cultive elle-même des légumes et en voit pourrir la majorité à cause d'un été plus que pluvieux. Depuis ce temps, elle comprend que quand nous, cultivateurs, perdons nos légumes, c'est notre revenu que nous perdons!
Les conditions idéales sont rarement réunies. Idéalement, ça prend beaucoup d'eau au printemps pour bien gorger le sol. Ensuite, de la chaleur et du soleil pour faire «lever» et puis un temps très sec dès la mi-juin pour faire les foins. Un peu de vent ne nuit pas, car ça aide à faire sécher. Pour faire du foin sec, c'est idéalement 3 jours. On vérifie la météo de plusieurs sources pour sa région, plus les cartes radar et infrarouge pour l'Amérique du Nord et on scrute le ciel local. On détermine si on  pense avoir ces 3 jours de beau temps et on se lance (surtout si on voit le voisin passer avec sa faucheuse)! Les machines doivent être prêtes et graissées, la corde achetée, les pneus gonflés sur les wééguines (voir un blogue précédent) et les roues des accessoires (râteaux, faneurs, etc.). Le foin doit être coupé après la rosée. En général, rares sont les cultivateurs qui vont faucher avant le dîner. Ensuite, faut que ça sèche. En juin, les orages violents, mais brefs, sont nombreux. S'il pleut sur le foin fraîchement coupé passe encore, mais s'il pleut sur du foin sec prêt à ramasser, il va virer jaune, être poussiéreux et être de moindre qualité. Les foins de juin, la première coupe comme on l'appelle, qui est la plus importante pour l'énergie, est LA job la plus importante de toute l'année. C'est pas pour rien que tout le mois de mai et première moitié de juin, le cultivateur se fait du mauvais sang. Tout peut virer «boutt pour boutt»! Pas de foin en quantité et qualité vont influencer les animaux qu'on garde ou ne garde pas pour l'hiver, car c'est leur ration qui est compromise. Pour un agriculteur sous gestion de l'offre, dans la vache laitière par exemple, un foin de moindre qualité veut dire plus de moulée et plus de vaches à traire pour la même quantité de lait vendu. La deuxième coupe, celle du mois d'août, peut arranger les choses, mais en général, celle-ci comporte moins d'énergie et plus de fibre. On choisira de soigner avec ce foin à un autre moment, où les besoins énergétiques de l'animal sont moindres (à l'entretien plutôt qu'en gestation ou en lactation). Tout ça pour dire que «les foins» sont la job la plus importante, la plus cruciale, la plus élémentaire de l'année. Tout dépend de la qualité de cette job-là quand on  élève des animaux. 
En 2008 et 2009, nous avons vu les pires étés depuis longtemps en fait de pluie. Trop d'eau ne permet pas de faire les foins. Quand la plante arrive à maturité, ses qualités nutritives se dégradent vite. Si on a le temps de faucher, le foin lui n'a pas le temps de sécher et on le récolte alors trop humide. C'est là qu'on a besoin d'une enrobeuse, pour enrober chaque balle de plusieurs couches de plastique pour créer un environnement anaérobique (sans oxygène). À ce moment survient une fermentation et des enzymes digèrent certaines substances. Le résultat donne un foin humide ou semi-sec, sans poussière, mais plus acide, dont la qualité nutritive est souvent excellente. Personnellement, l'odeur de levure d'une balle d'ensilage me déplaît grandement. De plus, l'humidité contenue dans une balle est apportée en bergerie et contribue à l'humidité ambiante.
Ça, c'est pour le foin. Maintenant il y a les semailles qui s'en viennent. Si on cultive du grain ou des légumes, trop d'eau veut dire pourriture, plus de limaces et autres bestioles qui aiment l'humidité. La sécheresse c'est autre chose. Si elle arrive tôt, au moment de la germination, cela peut tuer toute chance de réussite. Si la sécheresse arrive plus tard, elle peut compromettre la croissance. Un manque de lumière due à la grisaille permanente ralentit la croissance et donne des récoltes tardives et moindres. Au moment où j'écris ces lignes, plusieurs habitants de la Montérégie sont évacués à cause des crues qui font déborder les rivières de leur lit. Tant que le sol n'a pas absorbé toute l'eau, on ne peut pas «rentrer» dans les champs sans «tracer», c'est-à-dire faire de grosses marques profondes dans le sol avec les roues du tracteur. D'habitude on sème l'avoine autour du 16 mai. Comme c'est là, on n’est pas prêts de pouvoir rentrer dans les champs pour préparer le terrain. Quand est-ce qu'on va bien pouvoir récolter l'avoine si on sème tard? Va-t-elle avoir le temps de mûrir avant que l'automne ne revienne avec son humidité (il faut récolter l'avoine à un taux d'humidité raisonnable)? L'année passée, mon chum a fini de faire certains champs de foin en octobre! Y'a jamais eu le temps de labourer les autres champs qu'il voulait avant l'hiver. C'est donc à faire ce printemps. Tracer le sol est très mauvais – quand on sait que le moindre trou de siffleux peut avoir des conséquences onéreuses sur la machinerie, repasser en travers sur ses traces équivaut à reprendre sa propre vague en bateau: ça tape fort et si on traîne quelqu'un en tripe, ça fesse fort – c'est pareil sur la machinerie. En passant, mon beau-frère me signale qu'il a finalement choisi le râteau à 22 000$, pas celui à 18 000$…
Je me souviens du stress ressenti quand mon chum m'a laissée passer le râteau (une vieille réguine à 1 500$) et qu'il est parti ailleurs, me laissant craintive, debout sur le tracteur, à scruter le sol à 20km/h dans la peur que la petite roue du râteau ne tombe dans un des dits trous et que quelques peignes du râteau ne se cassent. En plus, tout ce temps, le bout du champ approchant vite, je devais déjà choisir sur quel autre rang j'allais m'enligner pour le retour et dans ma tête je répétais: 1 sur 2, 3 sur 2; 1 sur 2, 3 sur 2;… qui veut dire que sur trois rang de fauchés, on rabat le rang 1 sur le rang 2 et le rang 3 aussi sur le rang 2, (sur un retour parce que le râteau racle juste d'un bord) ceci afin de créer un andain assez dense pour limiter le va-et-vient de la presse (faut économiser sur tout, dont le diesel ). Si vous avez de la misère avec votre tondeuse à pelouse qui avance toute seule, essayer ma job pour une après-midi, on prendra une bière ensemble à la fin de la journée pis on en jasera.
Une dernière chose: la raison pour laquelle on enrobe de plus en plus le foin c'est qu'en plus du stress de la température, si on fait des petites balles carrées, il faut que si tôt pressées elles aillent dans une grange à l'abri, car l'orage n'est jamais bien loin et la rosée du lendemain est traître. Ça, ça prend une personne pour conduire le tracteur avec la presse, une personne pour conduire le deuxième tracteur avec la wéguine qui fait du va-et-vient entre la presse et la grange, une troisième personne qui va «feeder» le monte-balle depuis la wéguine et deux autres personnes qui vont accueillir les balles dans la grange à 45°C et les placer une par une. Les balles enrobées sont à l'abri des intempéries (mais pas des #!@*&% de corbeaux qui font parfois des trous dans le plastique et là, ça ne fermente pas et la balle est perdue) et elle peuvent donc rester au champs un certain temps! Donc qui dit foin sec dit abri et main d'oeuvre, donc bâtiments et donc $$$$$. Oui, le plastique pollue, oui on jette ça aux poubelles. Mais on n’est pas pour se débattre comme diable dans l'eau bénite pour faire du foin sec juste pour les beaux yeux des «gnontommateurs»! Déjà qu'on nous bombarde «d'écoconditionnalité»: faut laisser minimum 3 mètres non fauchés des bandes riveraines, ce qui veut dire le moindre ruisseau intermittent par exemple. Ben j'ai un «cric» qui traverse ma terre, qui fait 858 pieds de large. 3 mètres c'est 9.8 pieds dont 16 817 pieds carrés (à cause de chaque bord du cric) dont .4 acres. On peut dire qu'il se perd beaucoup de foin à cause de ça. J'ai d'autres bandes riveraines que celle là. À certains endroits, l'écoconditionnalité c'est 6 mètres ou 10 mètres!!! Si c'était ça ici, ça représenterait .7 acre ou 1.3 acre. À 4 ou 5 balles à l'acre… Et ça, ce sont des pertes qui ne sont pas compensées. C'est une mesure pour «protéger les cours d'eau, les grenouilles à bosse et la turlupinette à crête mordorée». Bientôt on aura des mesures pour ne pas faire faire trop de voyagement aux animaux qui se rendent à l'abattoir et des amendes si on les transgresse!!! Bien sûr, on n’aura pas plus d'abattoir local avec carcasses inspectées, oh, noooooonnnn! Et des mesures pour empêcher les agriculteurs de virer fous, y'en-a-t-y?
Sur ce, bonne saison des foins (si la température le permet)!

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