Thursday 26 May 2011

Cri du coeur


Dans La Terre de Chez Nous de cette semaine, un cri du coeur des producteurs de porc (repris en choeur par les producteurs de bovins de boucherie et les producteurs d'agneaux) interpelle le lecteur dès la Une.
On dit aux agriculteurs qu'il faut s'adapter et innover. Je veux bien, mais pas 5 fois par année! Les autres industries ne s'adaptent jamais aussi souvent, d'autant plus qu'elles voient le résultat des adaptations beaucoup plus rapidement! Exemple, si je dois améliorer mes agneaux, faut que je m'y prépare, ensuite il y a la gestation de 5 mois puis l'élevage de ces agneaux pendant environ 4 mois donc, environ 10 mois de temps de réaction. C'est quasiment 1 an! Vous savez dans L'Actualité il y a de ça quelques mois on y présentait un article sur les capitaines du fleuve, ces pilotes qui "take over" les cargos pour les conduire dans le fleuve Saint-Laurent jusqu'à bon port. Ces cargos font en longueur la même hauteur que la Place Ville-Marie à Montréal. S'ils arrêtent les machines, le cargo ne stoppera pas avant un kilomètre! Ben en agriculture, ça ressemble à ça: une grosse machine qui a pas le choix de faire avec la nature.
En plus de multiplier les règlements et mesures d'écoconditionnalité, le gouvernement traite les agriculteurs comme des pollueurs et des enfants d'école. La raison pour laquelle les producteurs essaient de maximiser leurs superficies et leurs rendements c'est qu'ils ont des cennes pour leurs produits et que les coûts des règlements et de l'écoconditionnalité leur sont refilés (d'autant plus frustrant qu'ils leur sont imposés). On est même plus chez nous, chez nous. Imaginez-vous donc que pour déplacer, enlever ou installer une calverette, j'ai besoin d'un permis du Ministère de l'Environnement (MDDEP)!!! Bien entendu, ce même Ministère veut mettre son nez dans mes affaires et zyeutera sans doute mon tas de fumier et la distance de ma clôture du cric qui passe à côté de mon paddock à chevaux. Bref, vous avez compris, on les veut pas chez nous ce monde-là. Le «tournage de coins ronds» devient alors un sport et un métier. Certains agriculteurs font faire faire leurs travaux en douce le dimanche ou encore s'ils ont l'avantage d'être camouflés par un boisé ou de vivre creux, ils font encore ce qu'ils veulent (les chanceux!).
Les producteurs d'agneaux dans les derniers trois ans ont dû s'adapter pas à peu près. Tout d'abord, l'ASRA (Assurance Stabilistion des Revenus Agricoles qui compense la différence entre le coût de production (pas le nôtre, une moyenne des 75% qui s'en tirent le mieux) et le prix de vente) était avant calculé sur le nombre de brebis reproductrices (t'as 115 têtes, t'es compensé X). Maintenant, c'est au kilo d'agneau vendu. Je dois donc «pousser» mes brebis et modifier ma génétique pour obtenir le plus d'agneaux par portée et faire faire 3 agnelages aux 2 ans à mes brebis plutôt qu'une par année. On parle de plus de foin, de meilleure qualité (pas de notre ressort) et de plus de grain et moulée (le prix monte sans cesse). En plus, c'est pas facile à faire parce que les brebis ont naturellement un cycle comme celui des chevreuils. Elles viennent en rut à l'automne et mettent bas au printemps. Pour faire 3 agnelages aux 2 ans, il faut au moins une mise au bélier à contre-saison. Certaines races le font bien et d'autres pas. Si nos races ne sont pas «désaisonnnées», faut modifier la génétique et, en plus, faut utiliser des hormones pour obtenir un meilleur taux de fécondité à contre-saison. Est-ce que c'est ce que l'agriculteur veut? Pas nécessairement, mais sa rentabilité en dépend. Pis c'est drôle hein? Les subventions sont des attrape-nigauds (même si on est pas dupe) car souvent, ce sont des subventions de paperasse (75% du coût de rédaction d'un plan d'action et d'adaptation bla, bla, bla - voyez le genre?) alors qu'un technicien qui sait ce qu'il fait pourrait venir nous montrer à poser les éponges comme du monde (les hormones de tantôt sont sous forme d'éponges qu'on doit insérer dans le vagin des brebis, une par une, avec un instrument spécial - je sens que ça vous tente moins là…). Mais ça, c'est pas dans les subventions. Tiens une autre affaire: on est cruel parce qu'on pose des élastiques sur la queue à la naissance pour que la queue couvre la vulve et que le bout qui reste se nécrose et tombe. Moi ce que je trouve qui est dégueulasse, c'est de mettre une éponge à une brebis qui a une grosse queue laineuse pleine de marde qui descend jusqu'à ses jarrets, et qu'elle fait gigoter dans ma face! L'élastique ne lui fait pas mal et tombe avec le bout de sa queue après quelques semaines. Point final à la ligne.
J'ai pas fini. Depuis 2008 il y a maintenant l'Agence de Vente d'Agneaux Lourds. Maintenant, tous les agneaux qui dépassent un certain poids doivent impérativement être mis en marché à travers cette agence. Pensez-vous qu'il y a des coûts, des conditions et des formulaires à remplir en plus de devoir s'inscrire, obtenir un numéro de producteur, etc.? Eh oui! Comme toujours! Et ça, ça s'ajoute aux autres formulaires et autres tracasseries administratives. Par exemple, cette semaine j'envoie pour la première fois des agneaux qui font le poids à la vente à travers l'Agence. Si je veux vendre les agneaux au client de mon choix, je dois envoyer le formulaire P6. Les vendre à l'Agence, qui s'occupe d'arrimer l'offre avec la demande des acheteurs, le formulaire P4 - en deux exemplaires, un pour l'Agence, un pour le transporteur. L'offre de vente comme telle, le formulaire P3 (combien d'agneaux, à quel abattoir - comme si on avait l'embarras du choix - le sexe et le poids moyen). Ensuite il faut que je m'assure que mes agneaux sont bien activés chez ATQ - Agri-Traçabilité Québec. C'est à cause d'eux que je dois «crouncher» des boucles dans chaque oreille de chaque agneau au coût de 2.19$ si je commande en paquets de 50, sinon c'est plus cher. Ça arrive souvent que les animaux s'arrachent les boucles (on appelle ça aussi des «tags») et il faut alors faire un remplacement de boucle. Il s'agit non seulement de crouncher un nouveau tag sur les oreilles, mais si l'animal s'est déchiré l'oreille, il est difficile de le poser. Comme c'est en paire il faut remplacer les deux tags, pour que le code à neuf chiffres corresponde. Vous ai-je dit qu'il faut attraper la bête et la maintenir parce qu'elle n’aime pas tellement se faire crouncher un tag dans l'oreille? Ça gigote fort un agneau de 80 lb ! Bon, c'est fait? Il faut appeler chez ATQ pour déclarer le remplacement, donner l'ancien et le nouveau numéro, le sexe et la date de naissance de l'animal. Bon, ça, c'est quand il en manque. Un animal auquel il manque un tag expose le transporteur et le producteurs à des amandes. Là quand on a notre gang de prête, il faut remplir le formulaire de déplacement des ovins d'ATQ. Re-remplir un formulaire comme le P4, avec le code à neuf chiffres de chaque agneau qui part dimanche prochain. Une copie pour le transporteur, une pour l'abattoir. Il faut tout faire ça bien comme il faut, car c'est avec ces informations qu'on se fait payer - elles sont transmises à la Financière Agricole qui administre l'ASRA. Une vraie souricière.
Ah oui! À l'abattage, les agneaux lourds sont classifiés. Un agneau peut surclasser ou déclasser. La conformation (viandeux ou pas viandeux, sur une échelle de 1 à 5, pour le gigot, la longe et l'épaule) et le gras (en millimètres, sur la 12e côte, à 11cm de la ligne médiane du dos - êtes-vous écoeurés déjà?) sont mesurés et la jonction de ces deux indices sur un tableau classe l'agneau. Jusqu'à l'année dernière, un agneau qui «déclassait» faisait déclasser le lot complet du producteur cette semaine-là. Maintenant, seulement l'individu déclasse. Vous vous imaginez bien qu'il fallait envoyer un groupe uniforme en titi pour avoir un beau chèque! Il y a des pénalités pour livrer des agneaux plus lourds qu'annoncé dans notre formulaire P3, si le gras est trop élevé, etc. Tout ça pour standardiser l'Agneau du Québec. Moi le dimanche matin j'ai ma chienne de travail pis mes bottes et quand je vois l'Agneau du Québec à 30$ le kilo à l'épicerie et que j'en reçois 8.30$ carcasse (poids de l'animal mort, vidé et décapité - environ 55% de perte par rapport au poids vivant) j'me demande pourquoi je deviens pas intermédiaire moi-même. Ça a l'air d'être eux qui font l'argent. Peut-être parce que je suis tellement occupée à survivre et à calculer que j'ai pas le temps pour une autre business? La prochaine fois que vous savourez l'Agneau du Québec, dégustez-le, car énormément d'énergie est allée dans sa création!

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