Wednesday 20 April 2011

Bâââââââââh!

Voici Barnabé et Méo Penché, nos deux nouveaux béliers Arcott-Canadien (http://www.sheepbreeders.ca/breed_profiles/canadian_arcott.html), des béliers «à viande» comme on dit. Dans le jargon, on appelle ça une race terminale, c'est-à-dire que peu importe si des femelles ou des mâles sont issus du croisement de ce bélier avec une femelle quelconque, les agneaux seront bons pour le marché (abattoir) i.e.: auront une prise de poids rapide et facile et pourront rapidement quitter la ferme pour que les femelles soient remises gestantes. Oui, je sais, c'est très mercantile, mais il faut bien exercer une activité commerciale plus payante si on veut aussi exercer des activités plus nobles comme contribuer à sauver une race du patrimoine. En plus, l'idéal étant d'utiliser une femelle F1 avec ces béliers terminaux, la recette rétrécit de beaucoup le choix des races utilisées. Une femelle F1 est une femelle issue du croisement de deux races pures, c'est donc le premier degré de croisement, d'où le terme F1. En général, la recette est de croiser une race maternelle (qui agnelle facilement, qui est «mère-poule» et qui donne beaucoup de lait pour bien «partir» ses petits - comme une Dorset ou une Arcott-Rideau) avec une race prolifique (qui donne plusieurs petits par portée - comme une Romanov). Le résultat souhaité pour le marché serait donc un bébé qui serait né triple ou quadruple, qui aurait bénéficié du lait riche de sa mère dès le départ et qui aurait ensuite possédé la génétique pour transformer son fourrage et sa moulée en viande rapidement, pas au-delà de quatre mois. Une recette. Mais comme toute bonne recette, le gâteau parfois ne lève pas. Et puis c'est toujours la même recette avec toujours les mêmes ingrédients. Mettons qu'on essaie de faire un Paris-Brest maintes et maintes fois, on va finir par y arriver, et tous les autres qui s'essaient aussi. Mais que va-t-il arriver au Mille-Feuilles? À l'éclair au chocolat? Au carré de sucre à la crème? Personne ne va tenter de maîtriser la confection de ces desserts…
Il y a des races de moutons qui vont se perdre pour des raisons mercantiles. Qu'est-ce qui est arrivé au Melon de Montréal? http://semeurs.free.fr/wiki/index.php?title=MELON_de_Montréal Il était délicieux, mais fragile comme une poire. Il a été délaissé pour la simple raison qu'il ne «shippait» pas bien. C'est la même chose avec des races de moutons petites, mais rustiques, comme la Icelandic ou la Black Welsh Mountain. Est-ce que ces races seront disparues dans une trentaine d'années parce que la «recette» des années 2000-2010 était l'agneau lourd?
Y a-t-il moyen, sur une même ferme, de se «racheter» de ce génocide en élevant aussi une race en voie d'extinction? Peut-on faire de l'agneau commercial pour payer sa faucheuse et sa moulée, mais aussi contribuer à sauvegarder les caractéristiques extraordinaires de races oubliées ou délaissées? Je me pose souvent la question. Je sens une certaine responsabilité peser sur mon dos. Pour les derniers 5 ans, j'ai eu des sujets Icelandic dans mon troupeau. Tant que mon objectif était de produire du lait, ça tenait encore la route, mais depuis qu'on a décidé de faire de l'agneau lourd, les quelques sujets purs qui vont s'éliminer d'eux-mêmes dans les saisons qui viennent sont une bonne chose. Ce sont des sujets petits, qui ne cadrent pas du tout dans les objectifs de gain de poids et de productivité destinés à l'Agence de mise en marché. C'était pourtant une belle petite race, très rustique, les agneaux gambadant et sautant sur le dos de leur mère dès la première journée de vie. Les mères dévoraient tout sur leur passage: écorce de bouleau, talles de framboisiers, jeunes plans de craquias, quenouilles, etc. sauf que quand elles avaient épuisé toutes ces nourritures, elles trouvaient moyen de passer l'autre côté de la clôture pour brouter l'avoine qui poussait chez le voisin, tandis que nos autres brebis braillaient de jalousie. De vraies chèvres, ces Icelandic. Les autres races que nous avons élevées ont plutôt été sélectionnées depuis des décennies pour le docilité et leurs qualités maternelles, comme la East Friesian, et sont donc plutôt faciles à manipuler. Une race ancienne qui cadre bien avec les objectifs de l'Agence de vente est la Dorset. Il y en a avec ou sans cornes. http://en.wikipedia.org/wiki/Dorset_(sheep) ou http://www.dorsetsheep.org/thebreed.html  C'est même une race qui a déjà été traite dans sa région d'origine. C'est un bon compromis, je crois.
Pour revenir à notre race du début, l'Arcott-Canadien, celle-ci a été développée depuis les années '70 au Animal Research Center d'Ottawa (d'où l'acronyme Arcott) avec deux races elles-mêmes assez modernes, l'Île-de-France (croisement de Mérino avec Dishney) et la Suffolk (croisement de Southdown avec Norfolk). L'élevage moderne s'appuie donc sur des races qui sont déjà des recettes, ou qui sont des races anciennes avec de très belles qualités. Si les bonnes qualités d'une vieille race sont incorporées à une nouvelle, ça n'assure par la pérrenité de l'ancienne race, mais au moins ça assure la pérrenité des ses meilleures qualités. Pas une mauvaise chose. Qu'en pensez-vous?

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